Il y a un an, quasiment pour jour, disparaissait Harvey Pekar, auteur éminemment important dans l’histoire de la bande dessinée telle que nous la connaissons aujourd’hui.

A la fin des années 60, Harvey Pekar rencontre Robert Crumb, autre pape de la bande dessinée underground, alors au début de ce qui allait devenir une fameuse carrière. Les deux hommes, passionnés de jazz et collectionneurs de pressages originaux rares et précieux, deviennent vite assez proches pour que Harvey, séduit et persuadé des possibilités qu’offre le médium bande dessinée mais « incapable de dessiner la moindre ligne droite » (de ses propres mots), propose une collaboration à Crumb : mine de rien, il s’agissait là pour l’une des premières fois, d’emmener la bande dessinée ailleurs que dans ses sphères habituelles (la fantaisie, l’aventure, la science-fiction et autres genres bien exploités dans l’industrie du comics américain).

En 1976, Harvey Pekar démarre la publication de « American Splendor », qui allait devenir l’une des plus importantes séries de bandes dessinées si l’on en juge à l’évolution constatée depuis : Harvey Pekar y raconte sa vie, sur un modèle autobiographique depuis exploité jusqu’au trop plein (la production franco-belge de ces quinze dernières années, par exemple, est assez pléthorique lorsqu’il s’agit de raconter son quotidien…), avec une franchise, une honnêteté et un sens de la critique (sociétale, mais aussi personnelle) qui auront tôt fait d’en faire une réussite.
Outre Crumb, de nombreux autres illustrateurs acceptent de collaborer avec l’auteur de Cleveland, qui continuera d’écrire, allant jusqu’à relater son combat contre le cancer, en 1995 (« Our cancer year », réalisé avec sa femme Joyce Brabner) ; Pekar s’y montre désespérément humain, et c’est probablement ce qui fait l’énorme succès de sa création : en parlant de son morne quotidien, de la difficulté de trouver sa place dans une société qui lui renvoie chaque jour le reflet d’un marginal pour qui tout sera toujours perdu d’avance, Pekar raconte finalement la vie de bon nombre de ses contemporains.

Et le rapport avec Pierre Feuille Ciseaux, outre l’importance que revêt Harvey Pekar dans cette bande dessinée de création que nous tentons de défendre ? Eh bien lors du weekend ouvert au public (les samedi 8 et dimanche 9 octobre 2011) nous proposerons la projection du film « American Splendor », adaptation très ambitieuse qui mêle habilement documentaire, fiction, emprunts à la réalité et acteurs…

Relatant le parcours de Pekar, ainsi que les nombreuses étapes qui l’ont jalonné, ce film, construit comme un récit à tiroirs et déployant de multiples stratagèmes pour valoriser le propos de Pekar sur la pertinence du médium bande dessinée, est brillamment interprété par Pekar lui-même (et sa femme, ses collègues de travail, etc), mais aussi par des comédiens empruntant, le temps d’une ou plusieurs scène, leurs identités.
L’occasion de voir Pekar (le vrai) échanger avec Pekar (le personnage de bande dessinée, ou avec Pekar (joué par Paul Giamatti, très très bon pour endosser les habits du vrai-faux misanthrope Pekar).
Bref : un très chouette film, que l’on est très contents de pouvoir vous proposer (merci à Jean-Michel Cretin, responsable de la programmation cinéma du Théâtre de L’Espace, et à l’équipe de Diaphana Films.

Evidemment, on fera en sorte d’avoir à La Bouquinerie les indispensables traductions françaises de « American Splendor », parues chez Çà Et Là, et dont le troisième tome devrait arriver sur les tables des bonnes libraires dès la mi-septembre. Et on salue au passage le travail de cet éditeur dont on apprécie énormément le boulot.

Et avant de vous laisser (re)plonger dans les bouquins laissés par Harvey, on vous encourage à aller jeter un œil, voire deux, sur le bel hommage que lui rendent Dean Haspiel (le dessinateur de « The Quitter », scénarisé par Pekar), Set Kushner et quelques autres en cliquant sur l’image suivante :