On pourrait essayer d’évoquer Charles Burns en commençant par son dessin : après tout, il s’agit probablement de la première des choses qui viennent en tête à l’évocation du nom de ce mastodonte de la bande dessinée contemporaine. Depuis plus de trente ans, il a laissé une empreinte graphique qui aura non seulement marqué durablement le dessin moderne, mais qui aura également su rester toujours dans l’air du temps, au dessus de bien des vagues. Son encrage unique et intemporel donne une toute nouvelle dimension à la notion du noir et blanc en dessin. Marquant : le mot semble assez faible.

Mais cela serait malgré tout sacrément réducteur : l’atmosphère qui se dégage de n’importe lequel de ses ouvrages est tout aussi marquante, et sa bibliographie n’en finit plus de creuser une veine unique en son genre. L’étrangeté qui réside dans ses histoires, la fascination parfois malsaine, l’ambiance souvent déstabilisante, tout ça représente tout autant une partie de sa marque de fabrique. Il est d’ailleurs beaucoup plus aisé pour le critique un peu fainéant de convoquer les œuvres de David Cronenberg ou de David Lynch pour évoquer Burns plutôt que de trouver une généalogie de son travail dans le seul champ de la bande dessinée…

De tous ses livres, certains ont davantage retenu l’attention que d’autres : de 1995 à 2005, il signera avec la série Black Hole l’une des bandes dessinées les plus saluées (et lues !) de notre époque. Ce monument de noirceur fantastique n’est pourtant qu’un exemple d’une œuvre qui a pourtant bien d’autres mérites que la simple expression d’une cacophonie sourde, d’un royaume onirique dérangeant. La critique sociétale y est systématiquement présente, et Burns n’épargne rien ni personne : entre désordres psychologiques et fuites en avants, entre névroses en friche et issues fatales et souvent cruelles, l’espoir n’a guère droit de cité dans le travail de ce créateur bien plus lucide qu’il n’y paraît.

Plus récemment, il a poursuivi un travail tout aussi essentiel : étrange passerelle entre fiction et réalité dont Burns use et abuse, la trilogie Johnny23 propose une incroyable expérience de lecture aux amateurs de la chose bande dessinée. Pour l’occasion il réinvente son rapport au dessin en distillant son noir intense dans des utilisations de la couleur complexes et hypnotisantes. L’ellipse traditionnellement liée à la bande dessinée en prend au passage un bon coup dans la gueule, car ces trois livres sont pour leur auteur l’occasion de régler leurs comptes à plusieurs bases de sa construction personnelle : l’éclosion de la scène punk et ses illusions mort-nées, la filiation et sa complexité, la défonce et la facture qui finit toujours par suivre… Les deux grandes figures qu’on y retrouve sont Tintin et William Burroughs, rien d’autre. Et c’est traité de manière magistrale, pas moins.

Charles Burns est né en 1955 au nord de la côte ouest américaine. Il étudie aux côtés des mythiques Linda Barry et Matt Groening. Il fait de la photo, est repéré par Françoise Mouly et Art Spiegelman et se retrouve donc dans la mythique revue Raw dès 1981.
A la même époque, il illustre des pochettes de disques et de cassettes pour le mythique label Sub Pop, et un peu plus tard, pour le mythique Iggy Pop. Il travaille dans la publicité, de manière notable pour les mythiques pastilles Altoids. Il travaille régulièrement pour Time Magazine, The New Yorker, Rolling Stone, The New York Times Magazine, Esquire, The Village Voice, etc. Il signe les couvertures de la revue The Believer, réalise un segment d’animation (dans Peur(s) du Noir, 2007). Il a reçu mille tonnes de prix et distinctions pour l’ensemble de son œuvre, notamment des Eisner awards, des Harvey awards, des Ignatz awards. Il vit désormais à Philadelphie avec sa femme et ses deux filles.

 

Bibliographie :

  • Dédales (Cornélius, 2019)
  • Love Nest (Cornélius, 2016)
  • Vortex (Cornélius, 2016)
  • Facetasm (avec Gary Panter) (Cambourakis, 2015)
  • Calavera (Toxic #3) (Cornélius, 2014)
  • Cut Up – Random Fragments 1977-1979 (Bülb Comix, 2012)
  • La Ruche (Toxic #2) (Cornélius, 2012)
  • Johnny 23 (Le Dernier Cri, 2010)
  • Toxic (Toxic #1) (Cornélius, 2010)
  • Permagel (United Dead Artists, 2008)
  • One Eye (Drawn and Quarterly, 2007)
  • Fleur de peau (Cornélius, 2005)
  • Black Hole (Delcourt, 2006)
  • Big Baby (Cornélius, 2003)
  • Defective Stories (Cornélius, 1989)
  • El Borbah (Cornélius, 1985)

Collectifs, anthologies :

  • PFC#5 (Association ChiFouMi/MCAD Minneapolis, 2015)
  • Nicole et Franky #2 (Cornélius, 2015)
  • Mon Lapin #8 (L’Association, 2014)
  • Jade 166U – Le jeu des influences (6 Pieds Sous Terre, 2013)
  • Cent pour cent bande dessinée (CIBDI, 2010)
  • Le Tendon Revolver (United Dead Artists, 2008)
  • L’Horreur est Humaine vol.2 #1 (Editions Humeurs, 2008)
  • Cornélius ou l’art de la mouscaille et du pinaillage (Cornélius, 2007)
  • Little Lit #2 : Drôles d’histoires pour drôles d’enfants (Le Seuil, 2007)
  • L’Horreur est Humaine #7 (Editions Humeurs, 2002)
  • Little Lit #1 : Contes de fées – Contes défaits (Le Seuil, 2002)
  • Facetasm (avec Gary Panter) (Gates of Heck, 1998)
  • Popo Color #3 (Night Maire, 1996)
  • Zoulou #1 (Zoulou, 1984)